Burlina, reine sauvage du plateau

Les fleurs des hauts plateaux, premier facteur de l'exceptionnalité du fromage Asiago

Le deuxième chapitre s'ouvre sur un changement de décor et d'époque, à Vicence en l'an 1000 : une ville réputée pour la production de "hauts draps" de laine, avide de nouveaux territoires à consacrer à l'élevage des moutons. À cette époque, le plateau que nous appelons aujourd'hui les Sette Comuni était une étendue presque ininterrompue de bois de hêtres et de sapins, dont la conversion en pâturages aurait satisfait la bourgeoisie lainière. L'histoire raconte que l'évêque de Vicence eut la brillante idée de demander à son pair de Munich de lui envoyer des bûcherons appropriés, qui se trouvaient être les descendants des anciens Cimbri, qui s'étaient développés au point de pouvoir à nouveau être considérés comme un peuple. C'est ainsi que, dans leur sillage, la vache Burlina fait son entrée sur le plateau. Un nom curieux, qui renvoie à celui d'une reine danoise mythique, à l'appui de cette belle histoire, ainsi que des analyses ADN récentes, qui prouvent la parenté de ce bovin d'antan avec les vaches frisonnes d'Europe du Nord d'aujourd'hui.

Dès la fin de la transformation du lait, les fromages reposent dans des moules en bois

Nous arrivons donc au troisième chapitre, qui nécessite un nouveau saut de près de mille ans, dans la première moitié du XXe siècle. Les Cimbri vivent dignement isolés sur le plateau appelé Sette Comuni en raison du nombre de leurs communautés : ils habitent des maisons au toit de chaume, parlent une langue résolument germanophone et pratiquent l'élevage de brebis en vue de produire un fromage - "keeze", disent-ils - que la Guida Gastronomica d'Italia du Touring Club décrivait en 1931 comme une "graisse de montagne, faite de lait de vache, connue sous le nom d'Asiago".

Le Burlina est leur fidèle compagnon, mais un gros nuage plane sur l'union. C'est ce que raconte Mario Rigoni Stern dans son roman "Le stagioni di Giacomo" (Les saisons de Giacomo) : nous sommes en 1933, la douzième année de l'ère fasciste, quand arrive l'ordre d'éliminer tous les taureaux Burlini pour favoriser l'introduction d'une race suisse aux meilleures aptitudes, la Svitt, ou l'actuelle Bruna Alpina. Les alpagistes, flairant quelque pot-de-vin du régime, descendent dans la rue pour protester mais finissent en taule sans trop d'états d'âme. Puis c'est au tour de leurs épouses, qui les suivent au cri de "Viva Mussolini et les taureaux Burlini" et personne n'a le courage de toucher aux femmes qui font l'éloge du chef du gouvernement, même si c'est avec une malice qui frise l'irrévérence. L'événement fait grand bruit mais ne change pas le destin de la vache Burlina qui, en quelques décennies, est réduite au bord de l'extinction. Petite et de production modeste, mais bien adaptée à la montagne, la Burlina ne fait pas le poids face aux races modernes, sélectionnées pour devenir de véritables machines à lait.

Aladino, descendant des taureaux de la Burlina mentionnés par Rigoni Stern dans l'un de ses récits.

Le quatrième et dernier chapitre, espérons-le, concerne le retour de la Burlina dans les pâturages du plateau et fait l'objet d'une chronique ces dernières années : après avoir récupéré les quelques bovins survivants, souvent de sang un peu confus, on a procédé à la purification de la race et à son retour dans les montagnes. L'une des premières exploitations à l'accueillir est Malga Porta Manazzo, à 1738 mètres d'altitude, qui peut être la destination d'une belle excursion à pied ou en voiture. Ici, un cycle de travail intemporel se renouvelle chaque jour : à l'aube, les vaches sont traites, avant d'être laissées libres de paître, et la transformation s'effectue en ajoutant ce lait à celui de la veille, écrémé par écrémage ; puis, en général, il y a le chauffage au feu de bois dans le grand chaudron de cuivre ; ensuite, le petit miracle de la présure, qui sépare le composant liquide du composant solide ; enfin, la récupération de la masse à mettre en forme et le salage qui marque le début du processus d'affinage. Les études l'ont prouvé : le fromage Asiago de vache Burlina n'a pas de comparaison possible.

Malga Porta Manazzo (m 1795), impliqué dans le programme de relance de la vache de Burlina

C'est le spectacle qui se répète chaque année dans chacune des 87 malgas du plateau "chargées" de bovins et d'ovins. Ce sont les chiffres d'un véritable paradis laitier qui mérite aussi d'être inscrit au patrimoine mondial de l'humanité. Pour le connaître aujourd'hui, il suffit de suivre la Via delle Malghe, un réseau de 16 itinéraires balisés au service d'un tourisme naturel et gastronomique unique.